giovedì 3 gennaio 2013

Aller à Dieu par la création ?
Des Ursulines de l’Union Romaine
réfléchissent sur la création,
en approfondissant la pensée de Teilhard de Chardin.
Penser la création
avec Teilhard de Chardin
INTRODUCTION
Pierre Teilhard est né le 1er Mai 1881, à Sarcenat, en Auvergne.
Le Christ l’a accueilli dans sa lumière le 10 Avril 1955, jour de Pâques.
Il entre dans la Compagnie de Jésus à 18 ans. Il est mobilisé en 1914 et fera toute la guerre dans les tranchées, en tant que brancardier. Les périodes d’inactivité, à l’arrière du front, lui permettent d’écrire. Ses grandes intuitions datent de ce temps de guerre.
Dans un essai du 8 Juillet 1918 sur « Le prêtre », il écrit :
« Je voudrais être, Seigneur, moi, pour ma très humble part, l’apôtre, et (si j’ose dire) l’évangéliste de votre Christ dans l’Univers. -Je voudrais, par mes méditations, par ma parole, par la pratique de toute ma vie, découvrir et prêcher les relations de continuité qui font du Cosmos où nous nous agitons, un milieu divinisé par l’Incarnation, divinisant par la Communion, divinisable par notre coopération. »
(Œuvres, Tome XII, Ecrits du temps de la guerre, p. 329)

‘L’apôtre de votre Christ dans l’Univers.’
Christ et Univers sont indissociables dans la pensée de Teilhard. Le Père Martelet dit que Teilhard est « le premier penseur chrétien à vraiment affirmer l’identité profonde de la création tout entière dans son rapport au Christ et du rapport du Christ à la création tout entière. » (Gustave Martelet : Teilhard de Chardin, prophète d’un Christ toujours plus grand, Lessius, 2005, p.243)
Le Christ de Teilhard est en effet le Christ « en qui tout tient ».
(Col.1, 17). Il mérite en cela le titre de Christ universel, puisque la Création tout entière dépend de lui. La création qui ne peut se passer du Christ pour trouver sa consistance est aussi nécessaire au Christ qui, en tant qu’universel, ne saurait s’en passer. Premier penseur chrétien, dit le Père martelet, penseur et chercheur. Chez Teilhard, la recherche passionnée de l’Absolu va toujours de pair avec la soif de connaître, de comprendre. Par là, il se situe dans la grande tradition des théologiens philosophes comme Augustin d’Hippone, Thomas d’Aquin ou Anselme de Canterbury, dont la visée fondamentale est de ‘comprendre pour croire’ et de ‘croire pour comprendre’.
Toute sa vie, Teilhard a poursuivi la cohérence intérieure, la recherche de la vérité pour lui-même d’abord, et pour pouvoir la communiquer aux autres ensuite.
« Je voudrais, avait confié Teilhard dès 1916 à l’un de ses frères jésuites, le Père Fontoynont, pouvoir aimer passionnément le Christ dans l’acte d’aimer l’univers. - N’est-ce point une chimère ou un blasphème ? En plus de la communion avec Dieu et de la communion avec la terre, - y a-t-il la communion avec Dieu par la terre, - celle-ci devenant comme une grande Hostie où Dieu se tiendrait pour nous ?... Je le voudrais pour moi et pour beaucoup d’autres... »
Aimer passionnément le Christ en aimant l’univers, tel est le projet.
Comment Teilhard le réalise-t-il ?
M’inspirant du texte cité plus haut, j’ai retenu 3 aspects de sa démarche :
 Un milieu divinisé par l’Incarnation
 Un milieu divinisant par la Résurrection et l’Eucharistie
 Un milieu divinisable par notre coopération.

I. Un milieu divinisé par l’Incarnation
A/ La Création
Comment Teilhard conçoit-il la création ?
Entre le Christ et le Cosmos, il y a une relation privilégiée. Selon la conception chrétienne de la Trinité, le Christ est le médiateur de la création. « C’est en LUI qu’ont été créées toutes choses, les visibles et les invisibles... Toutes choses ont été créées par Lui et pour Lui... et toutes choses subsistent en Lui. » Col. 1, 15-17. C’est le texte de Paul le plus souvent cité par Teilhard. Tout ce qui existe a un rapport direct avec le Christ, un rapport ontologique. Rapport qui n’est pas seulement d’origine : tout a été créé par Lui, mais aussi en Lui et pour Lui ; c’est-à-dire que le Christ médiateur a un rapport privilégié avec la création dans sa genèse, depuis l’origine jusqu’à son terme. Tout se transforme, tout se crée en permanence sous l’influx et l’attrait divin.
« Il y a quelque chose de sacré dans tout le Réel, note Teilhard dans sa retraite de 1919. Le nom chrétien de la réalité universelle que j’adorais depuis longtemps, je le lus enfin en moi : c’était l’influence cosmique du Christ. » (XII, p.438)
La création comme Milieu divin, comme Tout créé par Dieu et animé par sa présence immanente, évoque pour Teilhard ce qu’il y a de vrai dans les différentes formes de panthéisme.Le Cosmos est le lieu de la présence immanente du Christ en tant que créateur. La création comprise comme une cosmogénèse est une sorte d’Avent : une lente et longue préparation de l’Incarnation.
B/ L’Incarnation
L’Incarnation est le point singulier où le Transcendant assume son immanence dans le créé, c’est-à-dire dans la cosmogénèse. En devenant homme parmi les hommes, il prend la tête de l’humanité, flèche de l’évolution. L’homme étant partie intégrante du Cosmos et de son histoire, la cosmogénèse culmine en anthropogenèse. Puisque l’Homme-Dieu assume en personne la réalité universelle, cosmique, l’anthropogenèse devient une Christogénèse. « La puissance du Verbe s’irradie jusque dans la Matière ; elle descend jusqu’au fond le plus obscur des puissances inférieures. »(Le Milieu Divin IV, p. 49)
Le Milieu divin prend toute sa dimension. Le Christ n’est pas seulement présent au monde par son action créatrice, donc immanente, mais surtout par sa présence personnelle en tant que Verbe incarné. C’est Dieu en personne qui anime sa création. Le monde devient ‘diaphane’.
« S’il est permis de modifier légèrement le mot sacré, nous dirons que le grand mystère du christianisme, ce n’est pas exactement l’apparition, mais la Transparence de Dieu dans l’Univers. Oh ! oui, Seigneur, pas seulement le rayon qui effleure, mais le rayon qui pénètre. Pas votre Epiphanie, Jésus, mais votre diaphanie." (IV, 162)
Par son incarnation, le Christ manifeste sa présence au cœur du monde, nous verrons ensuite comment, par son Eucharistie, il consacre le monde tout entier.
L’incarnation est donc d’abord une incorporation de Dieu à la réalité du monde qui commande celle de l’homme. Elle donne à l’homme et au monde sa signification, son sens.
« Ne nous scandalisons plus, sottement, des attentes interminables que nous a imposées le Messie. Il ne fallait rien moins que les labeurs effrayants et anonymes de l’Homme primitif, et la longue beauté égyptienne, et l’attente inquiète d’Israël, et le parfum lentement distillé des mystiques orientales, et la sagesse cent fois raffinée des grecs pour que sur la tige de Jessé et de l’Humanité la Fleur pût éclore. Toutes ces préparations étaient cosmiquement, biologiquement, nécessaires pour que le Christ pût prendre pied sur la scène humaine. Et tout ce travail mû par l’éveil actif et créateur de son âme en tant que cette âme humaine était élue pour animer l’Univers. Quand le Christ apparut entre les bras de Marie, il venait de soulever le Monde." (IX Science et Christ p. 91)
Décrivant les lenteurs insondables de la préhistoire, Teilhard rejoint Péguy qui, en une longue suite de strophes admirables, dit l’attente séculaire du Messie. La Grèce, Rome et Carthage préparaient sa venue.
« Et les pas d’Alexandre avaient marché pour lui,
De son jeune berceau jusqu’à sa jeune mort.
Il était le Seigneur de l’un et l’autre port,
Il était le Seigneur d’hier et d’aujourd’hui.
Et les pas d’Hérodote et les pas de Darius,...
Les pas des légions avaient marché pour lui,
Les voiles des bateaux pour lui s’étaient gonflées.
Pour lui les grands soleils d’automne avaient lui.
Les voiles des bateaux pour lui s’étaient pliées.
C’était lui qui marchait derrière le romain,
Derrière le préfet, derrière la cohorte.
C’était lui qui passait par cette haute porte.
Il était le Seigneur d’hier et de demain.
Et les pas d’Annibal avaient marché pour lui,...
Les éléphants d’Afrique avaient marché pour lui... » (Eve)
Et ainsi de suite.
La raison d’être de l’Incarnation, pour Teilhard comme pour Péguy, est l’acte créateur lui-même dans tout son déploiement, l’assomption de tout le créé, et pas seulement la rédemption du péché. Il se veut en cela fidèle à Saint Paul. « Béni soit Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ : il nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les cieux, en Christ. Il nous a choisis en lui dès avant la création du monde, pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard, dans l’amour. » Ephes. 1, 4
Pour présenter l’Incarnation, Teilhard part du Christ et non d’Adam et du péché. Il y a dans la tradition chrétienne deux grandes tendances théologiques pour rendre compte de l’Incarnation. L’une, avec Saint Irénée, Duns Scott, la rattache à l’acte créateur. L’autre, à la suite de Saint Augustin, la lie exclusivement au péché : le Christ s’est incarné pour le rachat de nos péchés.
Teilhard se rattache à la première famille d’esprits : pour lui, le verbe incarné est le centre d’un univers qui, par dessein créateur de Dieu, ne peut pas se passer de lui.
« Par son Incarnation, le Christ s’est inséré non seulement dans l’Humanité, mais dans l’Univers qui porte l’Humanité - non seulement à titre d’élément associé, mais avec la dignité et la fonction de principe directeur, de Centre vers qui tout amour et toute affinité convergent. » (XII, 67)
Alpha et Oméga du monde, le Christ agit par empathie. Il attire du dedans. Il aimante le réel où il s’est enfoncé. Le Corps mystique dont nous parle la foi chrétienne comporte dans le Christ un versant d’Univers qu’on a coutume d’oublier.
« Si mystérieux et vaste que soit déjà le Corps mystique, dit Teilhard, il n’épuise donc pas l’immense et bienfaisante intégrité du Verbe fait chair. Le Christ a un corps cosmique répandu dans l’Univers tout entier : tel est le mot ultime qu’il faut entendre. » ( XII, 67 )
Nous retrouverons le Christ Cosmique ou Christ Universel en parlant du Ressuscité. Avant d’aborder la seconde partie, il nous faut aller plus loin dans la compréhension de l’Incarnation en utilisant ce que le Père Martelet appelle ‘un symbole de génie’ : l’endométamorphisme, phénomène géologique dans lequel Teilhard a vu une grande portée théologique. De quoi s’agit-il ? Une roche traverse un milieu géologique, et, en le traversant, elle le transforme. Mais ce n’est pas tout ! Le milieu transformé, à son tour, réagit sur l’élément qui l’a transformé et le modifie. L’effet rejaillit sur la cause : il y a interaction entre cause et effet. Le métamorphisme symbolise la divinisation de l’homme et l’endomorphisme représente la façon dont Dieu s’humanise en nous divinisant. Dans son Incarnation, le Christ confère à Dieu lui-même notre propre humanité. Celui qui donne Dieu est aussi celui qui reçoit quelque chose de nous. « Admirable échange », chantons-nous dans la liturgie de Noël, où Dieu devient ce qu’il n’était pas, sans cesser d’être ce qu’il est, et où nous devenons en Lui, ce que nous ne sommes pas. Ainsi s’opère une véritable communion entre le fini et l’infini. L’Incarnation manifeste le mystère d’un Dieu qui aime, qui reste transcendant, mais d’une transcendance d’amour trinitaire qui passe dans notre monde par la chair du Christ.
« Béni soit Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ ...Il nous a choisis en lui avant la création du monde... Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs, par Jésus-Christ... » Ephés. 1, 3-4
Nous voici donc, nous humains, et avec nous tout ce qui est le support de notre vie : le monde, divinisés. Mais la divinisation ne fait que commencer. Voyons maintenant comment, par la Communion, elle se poursuit.

II. Un milieu divinisant par la communion
A/ La Résurrection
Le Christ incarné est bien, selon le dessein créateur de Dieu, le Centre de l’univers. Incorporé au monde, il ne cesse d’agir pour le conduire à sa fin divine.
« Afin de tout ramener à son Père,il a dû tout épouser, entrer en contact avec chacune de zones du créé, depuis la plus basse, la plus terrestre, jusqu’à la plus proche des cieux. » (X, 88)
Le Christ, comme le dit l’épître aux Ephésiens, est celui qui est « descendu dans les régions inférieures de la terre, mais aussi est monté au-dessus de tous les cieux afin de remplir toutes choses. » Ephés. IV, 9-10
Le Ressuscité qui, par sa mort sur la Croix a pris sur lui la souffrance humaine, poursuit son œuvre d’assomption et de transfiguration de la création tout entière.

« Le Christ est ressuscité. La Résurrection, nous cherchons beaucoup trop à la regarder comme un évènement apologétique et momentané, comme une petite revanche individuelle du Christ sur le tombeau. Elle est bien autre chose et bien plus que cela. Elle est un formidable évènement cosmique. Elle marque la prise de possession effective, par le Christ, de ses fonctions de Centre Universel. Jusque-là, il était partout comme une âme qui péniblement rassemble ses éléments embryonnaires.
Maintenant, il rayonne sur tout l’Univers comme une conscience et une activité maîtresses d’elles-mêmes.
Il a émergé du monde après y avoir été baptisé. Il s’est étendu jusqu’aux cieux après avoir touché les profondeurs de le Terre... Quand, en face d’un Univers dont l’immensité physique et spirituelle se révèle à nous de plus en plus vertigineuse, nous sommes effrayés du poids toujours croissant d’énergie et de gloire qu’il faut placer sur le fils de Marie pour avoir le droit de continuer à l’adorer, pensons à la Résurrection. » (IX, 92)

Le fait que le Christ soit profondément engagé dans la structure même du monde implique qu’il continue à travailler pour que le Cosmos entre finalement dans la gloire du Seigneur.
« Depuis que Jésus est né, qu’Il a fini de grandir, qu’Il est mort, tout a continué de se mouvoir, parce que le Christ n’a pas achevé de se former. Il n’a pas ramené à Lui les derniers plis de la Robe de chair et d’amour que lui forment ses fidèles.... Le Christ mystique n’a pas atteint sa pleine croissance - ni donc le Christ cosmique. L’un et l’autre tout à la fois, ils sont et ils deviennent..... Le Christ est le terme de l’Evolution, même naturelle des êtres ; l’Evolution est sainte. » (XII, 68-69)
La Résurrection habilite le Christ à ‘se soumettre même tout l’univers’ Phil 3, 21, Lui, ‘le seul Seigneur Jésus-Christ par qui tout existe et par qui nous sommes’. 1ère Cor. 8, 6
Après la Résurrection, l’Univers est devenu pour le Christ et continue à devenir jour après jour sa Palestine ‘Cosmique’.

B/ L’Eucharistie
Le Ressuscité poursuit son action divinisante dans le monde par l’Eucharistie. Nous allons donc parler maintenant du Christ eucharistique. C’est certainement sur ce point que Teilhard a le plus apporté à la théologie. Tout en reprenant la pensée traditionnelle de l’Eglise sur la communion divinisante du fidèle qui reçoit son Seigneur, Teilhard tire toutes les conséquences de la consécration du pain et du vin, consécration qui va bien au-delà du morceau de pain et de la coupe de vin déposés sur l’autel. « Le ‘ceci’ du ‘Ceci est mon Corps’ désigne tout d’abord le pain. Mais dans un second temps, la matière du sacrement n’est-elle pas le Monde lui-même en qui se répand, pour l’achever, la présence trans-naturelle du Christ de l’Univers ?... En prenant un minime fragment d’Univers pour en faire son corps sacramentel, le Christ entend bien investir le monde tout entier pour lui donner sa plus profonde vérité. » G. Martelet. Op. cit. p.92
« Au cours des siècles, l’Hostie sacramentelle..., l’Hostie de pain va s’enveloppant toujours plus intimement d’une autre Hostie infiniment grande, qui n’est rien moins que l’Univers lui-même. »
(IX, 93-94)
« A la faveur d’un acte qui nous donne d’abord le Corps et le Sang du Christ, c’est le monde lui-même qui se voit pénétré peu à peu par les effets transfigurants de la parole eucharistique. Et cette parole ‘explicatrice de toute la création’ rend présent, d’une façon sacramentelle, Celui par et pour qui le Monde en sa divine profondeur est divinement fait. En mettant le Christ au monde par voie de sacrement, l’Eucharistie ouvre de plus en plus les voies à la consécration de l’Univers. » G. Martelet, ibid. p. 92
« Toutes les communions d’une vie forment une seule communion, (l’Eucharistie commande une communion constante avec le Christ). Toutes les communions de tous les hommes actuellement vivants forment une seule communion.
(Teilhard ne peut percevoir une chose particulière sans la totalité qu’elle représente par rapport aux individus.) Toutes les communions de tous les hommes présents passés et futurs forment une seule communion. » (IV, 151)

L’Eucharistie, à travers les hommes qui communient pénètre par résonance dans toutes les profondeurs de notre humanité, et, à travers elle, dans tout l’univers.
C’est pourquoi le pasteur Georges Crespy a pu dire qu’il s’agit pour Teilhard d’une ‘eucharistisation’ de l’Univers.
L’Eucharistie divinise la Création. Il faut relire à ce sujet les pages splendides du ‘Milieu Divin’ : La nature du Milieu Divin, le Christ Universel et la Grande Communion, p.147 et sq.

« Mon Dieu, quand je m’approcherai de l’autel pour communier, faites que je discerne désormais les infinies perspectives cachées sous la petitesse et la proximité de l’hostie où vous vous dissimulez. Déjà je me suis habitué à reconnaître, sous l’inertie de ce morceau de pain, une puissance dévorante qui, suivant l’expression de vos plus grands Docteurs, m’assimile, bien loin de se laisser assimiler par moi. Aidez-moi à surmonter le reste d’illusion qui tendrait à me faire croire que votre contact est circonscrit et momentané.
Je commence à le comprendre : sous les espèces sacramentelles, c’est premièrement à travers les ‘accidents’ de la Matière, mais c’est aussi par contrecoup, à la faveur de l’Univers entier que vous me touchez, dans la mesure où celui-ci reflue et influe sur moi sous votre influence première. En un sens vrai, les bras et le cœur que vous m’ouvrez, ce ne sont rien moins que les puissances réunies du Monde qui, pénétrées jusqu’au fond d’elles-mêmes par votre volonté, vos goûts, votre tempérament, se reploient sur mon être pour le former, l’alimenter, l’entraîner jusqu’aux ardeurs centrales de votre Feu. Dans l’Hostie, c’est ma vie que vous m’offrez, Jésus.
Que pourrai-je faire pour recueillir cette étreinte enveloppante ? Pour répondre à cet universel baiser ? ‘Quomodo comprehendam ut comprehensus sum ?’ A l’offre totale qui m’est faite, je ne saurais répondre que par une totale acceptation. Au contact eucharistique je réagirai donc par l’effort entier de ma vie - de ma vie d’aujourd’hui et de ma vie de demain - de ma vie individuelle et de ma vie alliée à toutes les autres vies. En moi, périodiquement, les saintes Espèces pourront s’évanouir. Chaque fois elles me laisseront un peu plus profondément enfoncé dans les nappes de votre Omniprésence : vivant et mourant, je ne cesserai à aucun moment d’avancer en vous. Il est donc justifié avec une vigueur et une rigueur inouïes, le précepte implicite de votre Eglise qu’il faut toujours et partout communier. L’eucharistie doit envahir ma vie. Ma vie doit devenir, grâce au sacrement, un contact avec vous sans limite et sans fin, - cette vie qui m’était apparue, il y a quelques instants, comme un Baptême avec vous dans les eaux du Monde, et qui se découvre maintenant à moi comme une Communion par le Monde avec Vous. Le Sacrement de la vie. ‘Le sacrement de ma vie’ - de ma vie reçue, - de ma vie vécue, - de ma vie abandonnée. »
( IV, p.154-155 )
La divinisation du Monde par l’Eucharistie s’exprime souvent chez Teilhard en termes de transfiguration, d’illumination, d’irradiation. L’influx christique pénètre la matière à la manière de la lumière et du feu. Il faudrait ici relire les pages bien connues de ‘La Messe sur le Monde’. (XIII, p.153-154).
L’irradiation est souvent présentée par Teilhard à partir du Cœur de Jésus décrit comme un brasier qui enflamme peu à peu l’Univers entier.
« Au Centre de Jésus, non plus la tâche de pourpre, mais un foyer ardent noyant dans son éclat tous les contours, - ceux de l’Homme -Dieu, d’abord, - et puis ceux de toutes choses autour de lui. » (XIII, p.55)
Teilhard manifeste avec génie son adhésion à la singularité du Christ qui est et reste une personne et le passage du Christ à l’universalité du Cosmos sous le signe explicite et inattendu de son Cœur.
« Etranges démarches de votre Esprit, mon Dieu ! Quand, il y a deux siècles, a commencé à se faire sentir, dans votre Eglise, l’attrait distinct de votre Cœur, il a pu sembler que ce qui séduisait les âmes, c’était la découverte en Vous d’un élément plus déterminé, plus circonscrit, que votre Humanité même. Or, voici que maintenant, renversement soudain ! Il devient évident que, par la ‘révélation ‘ de votre Cœur, Vous avez surtout voulu, Jésus, fournir à notre amour le moyen d’échapper à ce qu’il y avait de trop étroit, de trop précis, de trop limité, dans l’image que nous nous faisions de Vous. Au centre de votre poitrine, je n’aperçois rien d’autre qu’une fournaise ; et, plus je fixe ce foyer ardent, plus il me semble que, tout autour, les contours de votre Corps fondent, qu’is s’agrandissent au-delà de toute mesure jusqu’à ce que je ne distingue plus en Vous d’autres traits que la figure d’un Monde enflammé.La Messe sur le Monde (XIII, p.153-154)
Le récit du tableau est également très révélateur de la manière dont Teilhard voit le Christ, aime le Christ comme une personne d’abord, puis comme un monde. Cf. Trois histoires comme Benson. (XII, p.113-117)
Ces contes à la manière de Benson ont été écrits à Verdun, en 1916.

Donnons une dernière citation de Teilhard pour résumer tout ce que nous avons dit sur la Résurrection et l’Eucharistie comme éléments divinisant la création.
« Le Monde est la définitive et réelle Hostie où descend petit à petit le Christ et jusqu’à la consommation de son âge. Une seule parole et une seule opération remplissent depuis toujours l’universalité des choses. ‘Hoc est Corpus meum’. Rien ne travaille dans la création que pour aider, de près ou de loin, à la Consécration de l’Univers. » (IX, p.94)
Nous avons vu comment l’Incarnation a divinisé le Cosmos, comment l’Eucharistie poursuit jour après jour cette œuvre de consécration, il nous reste à envisager comment, par notre coopération, nous contribuons aussi à la transfiguration du Monde.
III. Un milieu divinisable par notre coopération
Tout effort coopère à achever le monde ‘in Christo Jesu’.
« L’économie générale du salut (c’est-à-dire de la divinisation) de nos œuvres tient dans le bref raisonnement suivant :
Au sein de notre univers, toute âme est pour Dieu, en Notre-Seigneur. Mais par ailleurs, toute réalité, même matérielle, autour de chacun de nous, est pour notre âme. Ainsi, autour de chacun de nous, toute réalité sensible est, par notre âme, pour Dieu en Notre-Seigneur. » (IV, p.41)

Y a-t-il explicitation plus claire de la parole de Saint Paul : « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu. » 1 Cor. 3, 22-23
Ainsi, toute notre existence humaine, ce que nous faisons comme ce que nous subissons, peut devenir une rencontre où Dieu nous divinise.
Activités et passivités sont occasion d’union à Dieu.
A/ La divinisation des passivités
Ce qui anéantit l’homme serait-il un chemin d’union à Dieu ? Non seulement d’union, mais de communion, pense Teilhard. Dans ‘ Le Milieu Divin’, il expose clairement comment les passivités peuvent être divinisées.
1.Les passivités de croissance.
Ce qui résiste, ce qui apparaît d’abord comme pure barrière, comme obstacle, peut être transmué en tremplin, en point d’appui. La navigation ou l’alpinisme symbolisent la lutte de l’homme avec les forces qui le dépassent.
« La matière, d’une part, c’est le fardeau, la chaîne, la douleur,le péché, la menace de nos vies. C’est ce qui alourdit, ce qui souffre, ce qui blesse, ce qui tente, ce qui vieillit. Par la matière, nous sommes pesants, paralysés, vulnérables, coupables. Qui nous délivrera de ce corps de mort ?Maie la matière, en même temps, c’est l’allégresse physique, le contact exaltant, l’effort virilisant, la joie de grandir. C’est ce qui attire, ce qui renouvelle, ce qui unit, ce qui fleurit. Par la matière, nous sommes alimentés, soulevés, reliés au reste, envahis par la vie. En être dépouillés nous est intolérable. ‘Non volumus expoliari, sed supervestiri’. 1 Cor. 5, 6 » (IV, p.122)
Et encore :
« La tâche assignée à notre vie est de monter à la lumière en franchissant, pour atteindre Dieu, une série donnée de créatures, qui ne sont pas précisément des obstacles, mais des points d’appui à surmonter, des intermédiaires à utiliser, de la nourriture à prendre, de la sève à épurer, des éléments à nous associer et à entraîner. »( IV p.124 )
Les passivités qui nous enveloppent... « deviennent comme un toucher réel des mains créatrices de Dieu...L’univers ne nous serre de si près contre lui qu’afin de nous serrer au plus près contre Dieu...Les contraintes du Monde peuvent devenir pour nous une étreinte de Dieu. » G. Martelet, Op. cit. p.86-87
Ecoutons encore Teilhard :
« Dans la vie qui sourd en moi et dans cette matière qui me supporte, je trouve mieux encore que vos dons : c’est vous-même que je rencontre, Vous qui me faites participer à votre Etre, et qui me pétrissez. Vraiment, dans la régulation et la modulation initiale de ma force vitale,- dans le jeu favorablement continu des causes secondes, je touche, d’aussi près que possible, les deux faces de votre action créatrice ; je rencontre et je baise vos deux merveilleuses mains : celle qui saisit si profondément qu’elle se confond, en nous, avec les sources de la Vie, et celle qui embrasse si largement, que sous la moindre de ses pressions, tous les ressorts de l’Univers se plient harmonieusement à la fois. Par leur nature même, ces bienheureuses passivités...sont chargées de votre influence,- une influence qui m’apparaîtra plus distinctement, bientôt, comme l’énergie organisatrice du Corps mystique. Pour communier avec vous en elles, d’une communion fontale (la Communion aux sources de la Vie), je n’ai qu’à vous reconnaître en elles, et à vous demander d’y être de plus en plus. » (IV, p.78)
Ainsi donc, le monde devient, au regard du croyant, du mystique qu’est Teilhard le lieu de l’Alliance, d’une première forme de communion avec Dieu. Ce n’est pas tout.
2.Les passivités de diminution.
Elles ouvrent, elles aussi, sur un tout autre mode, celui de la souffrance, de la déprise totale de soi jusqu’à l’anéantissement, un chemin d’union et de divinisation. Union semblable à celle de l’amour qui demande de se quitter soi-même pour passer dans l’autre.
« Dieu doit, en quelque manière, afin de pénétrer définitivement en nous, nous creuser, nous évider, se faire une place. (IV, p.93)
« Le chrétien se trouve porteur d’une espérance, inespérée, du Monde. Pour lui, la mort...nous vide de nous sans nous anéantir, pour nous purifier et nous rendre capables de nous livrer à Dieu qui s’est toujours livré et qui se livre encore totalement à nous. » G. Martelet, Op. cit. p.89
Ici, rejoignons la prière de Teilhard :
« Mon Dieu, il m’était doux, au milieu de l’effort, de sentir qu’en me développant moi-même, j’augmentais la prise que vous avez sur moi ; il m’était doux, encore, sous la poussée intérieure de la vie, ou parmi le jeu favorable des événements, de m’abandonner à votre Providence. Faites qu’après avoir découvert la joie d’utiliser toute croissance pour vous faire, ou pour vous laisser grandir en moi, j’accède sans trouble à cette dernière phase de la communion au cours de laquelle je vous posséderai en diminuant en vous.
Après vous avoir aperçu comme Celui qui est un ‘plus moi-même’, faites, mon heure étant venue, que je vous reconnaisse sous les espèces de chaque puissance, étrangère ou ennemie, qui semblera vouloir me détruire ou me supplanter. Lorsque sur mon corps (et bien plus sur mon esprit) commencera à marquer l’usure de l’âge ; quand fondra sur moi du dehors, ou naîtra en moi, du dedans, le mal qui amoindrit ou emporte ; à la minute douloureuse où je prendrai tout à coup conscience que je suis malade ou que je deviens vieux ; à ce moment dernier, surtout, où je sentirai que je m’échappe à moi-même, absolument passif aux mains des grandes forces inconnues qui m’ont formé ; à toutes ces heures sombres, donnez-moi, mon Dieu, de comprendre que c’est Vous (pourvu que ma foi soit assez grande) qui écartez douloureusement les fibres de mon être pour pénétrer jusqu’aux moelles de ma substance, pour m’emporter en Vous.
Oui, plus au fond de ma chair, le mal est incrusté et incurable, plus ce peut être Vous que j’abrite, comme un principe aimant, actif, d’épuration et de détachement. Plus l’avenir s’ouvre devant moi comme une crevasse vertigineuse ou un passage obscur, plus, si je m’y aventure sur votre parole, je puis avoir confiance de me perdre ou de m’abîmer en Vous,- d’être assimilé par votre Corps, Jésus.
O Energie de mon Seigneur, Force irrésistible et vivante, parce que, de nous deux, Vous êtes le plus fort infiniment, c’est à Vous que revient le rôle de me brûler dans l’union qui doit nous fondre ensemble. Donnez-moi donc quelque chose de plus précieux encore que la grâce pour laquelle vous prient tous vos fidèles. Ce n’est pas assez que je meure en communiant. Apprenez-moi à communier en mourant. » ( IV, p.94-96 )

Si les contraintes subies, les obstacles rencontrés, y compris le dernier combat de la mort peuvent devenir pour nous une étreinte de Dieu, plus même, un passage en LUI, nos activités peuvent-elles également nous introduire dans la vie divine ? Telle est notre dernière étape.
B/ La divinisation des activités
« Tout est sacré pour qui distingue, en chaque créature, la parcelle d’être élu soumise à l’attraction du Christ en voie de consommation. Reconnaissez, Dieu aidant, la connexion, même physique et naturelle, qui relie votre labeur à l’édification du Royaume céleste, voyez le ciel lui-même vous sourire et vous attirer à travers vos œuvres ; et vous n’aurez plus, en quittant l’Eglise pour la cité bruyante, que le sentiment de continuer à vous immerger en Dieu. » (IV, p.56)
1. Le travail et l’effort humain.
« Teilhard nous propose d’entrer corps et biens dans le réalisme absolu de la foi. Nous n’entrons dans le mystère de Dieu qu’à travers toutes nos activités, » et d’une manière toute particulière, à travers notre travail.
« Que seraient nos esprits, mon Dieu, s’ils n’avaient le pain des objets terrestres pour les nourrir, le vin des beautés créées pour les enivrer, l’exercice des luttes humaines pour les fortifier ? Quelles énergies misérables, quels cœurs exsangues vous apporteraient vos créatures, si elles parvenaient à se couper prématurément du sein providentiel où vous les avez placées. » (IV, p.123)
Tout croyant peut donc affirmer résolument :
« Plus grand encore, Seigneur ! Toujours plus grand soit votre Univers, afin que par un contact sans cesse intensifié et élargi, je vous tienne et sois tenu par Vous. »
La recherche et l’attente du Ciel ne détournent pas l’activité humaine de ses occupations naturelles.
« Non, Dieu ne distrait pas prématurément notre regard du travail qu’il nous a lui-même imposé, puisqu’il se présente à nous comme attingible par ce travail même. Non, Il ne fait pas s’évanouir, dans son intense lumière, le détail de nos buts terrestres, puisque l’intimité de notre union avec Lui est justement fonction de l’achèvement précis que nous donnerons à la moindre de nos œuvres...Dieu, dans ce qu’il a de plus vivant et de plus incarné, n’est pas loin de nous, hors de la sphère tangible ; mais Il nous attend à chaque instant dans l’action, dans l’oeuvre du moment. Il est, en quelque manière, au bout de ma plume, de mon pic, de mon pinceau,de mon aiguille, - de mon cœur, de ma pensée. C’est en poussant jusqu’à son dernier fini naturel le trait, le coup, le point, auquel je suis occupé, que je saisirai le But dernier auquel tend mon vouloir profond. » (IV, p.53-54)
Bien loin de détourner l’homme de l’édification de la cité terrestre, la foi au Christ l’entraîne à s’engager, à ‘se surpasser, à s’arracher à soi-même’ pour aller toujours plus loin. La création n’est pas achevée. Par notre travail, nous développons notre pouvoir d’organiser le monde et permettons au Christ une plus large mainmise sur lui.
« Tout accroissement que je me donne ou que je donne aux autres se chiffre par quelque augmentation de mon pouvoir d’aimer, et quelque progrès dans la bienheureuse mainmise du Christ sur l’Univers. Notre travail nous apparaît surtout comme un moyen de gagner le pain du jour. Mais sa vertu définitive est bien plu haute : par lui, nous achevons en nous le sujet de l’union divine ; et, par lui encore, nous agrandissons en quelque sorte, par rapport à nous,le terme divin de cette union, Notre-Seigneur Jésus-Christ. » (IV, p.52)
La recherche scientifique à laquelle Teilhard s’est voué passionnément, le développement des arts et des techniques, la maîtrise toujours plus grande de l’espace et du temps sont autant d’extensions données au Christ incarné.
« Chacune de nos œuvres... concourt à parfaire le Christ dans sa totalité mystique... Dans l’action, j’adhère à la puissance créatrice de Dieu ; je coïncide avec elle ; j’en deviens, non seulement l’instrument, mais le prolongement vivant. Et comme il n’y a rien de plus intime dans un être que sa volonté, je me confonds en quelque manière, par mon cœur, avec le cœur de Dieu. Ce contact est perpétuel, puisque j’agis toujours. » (IV, p.51)
Les chrétiens, plus que les autres, ont à s’engager dans tout ce qui fait progresser l’Humanité. Teilhard les presse d’œuvrer avec tous leurs frères humains pour le progrès.
« Pourquoi donc, hommes de peu de foi, craindre ou bouder les progrès du Monde ? Pourquoi multiplier imprudemment les prophéties et les défenses : ‘N’allez pas...n’essayez pas...tout est connu, la terre est vide et vieille : il n’y a plus rien à trouver...’
Tout essayer pour le Christ ! Tout espérer pour le Christ ! ‘Nihil intentatum’ ! Voilà, juste au contraire, la véritable attitude chrétienne. Diviniser n’est pas détruire, mais surcréer. Nous ne saurons jamais tout ce que l’Incarnation attend encore des puissances du Monde. Nous n’espérerons jamais assez de l’unité humaine croissante.
Lève le tête, Jérusalem, Regarde la foule immense de ceux qui construisent et de ceux qui cherchent. Dans les laboratoires, dans les studios, dans les déserts, dans les usines, dans l’énorme creuset social, les vois-tu tous ces hommes qui peinent ? Eh bien !tout ce qui fermente par eux, d’art, de science, de pensée, tout cela c’est pour toi.- Allons, ouvre tes bras, ton cœur, et accueille, comme ton Seigneur Jésus, le flot, l’inondation, de la sève humaine. Reçois-la, cette sève,- car, sans son baptême, tu t’étioleras sans désir, comme une fleur sans eau ; et sauve-la, puisque, sans ton soleil, elle se dispersera follement en tiges stériles. »
(IV, p.201-202)

Le travail, quelle qu’en soit la nature, est un milieu privilégié où, en vertu de l’Incarnation, le Divin pénètre et transfigure l’humain.
Mais ce n’est pas tout.
2.Autre lieu de divinisation : l’amour.
Au cœur de toutes les forces qui animent l’Humanité depuis son premier éveil, il en est une à laquelle Teilhard s’est beaucoup intéressé : l’amour. « Forme supérieure de l’énergie humaine », l’amour représente la puissance personnalisante par excellence.
« L’amour est, par définition, le mot dont nous nous servons pour désigner les attractions de nature personnelle. Puisque, dans l’Univers devenu pensant, tout, en fin de compte, se meut dans et vers le personnel, c’est forcément de l’amour, une sorte d’amour, qui forme et qui formera de plus en plus, à l’état pur, l’étoffe de l’énergie humaine. » (VII,p.131-132)
Biologique en ses racines, l’amour en s’humanisant se spiritualise, sans rompre pour autant ses attaches sensibles. Ce fut une joie pour Teilhard quand il découvrit chez Péguy une inspiration semblable à la sienne. Entre le charnel et le spirituel, il y a place pour une évolution, mais de l’un à l’autre, pas de coupure :
« Car le spirituel est lui-même charnel
Et l’arbre de la grâce est raciné profond
Et plonge dans le sol, et cherche jusqu’au fond
Et l’arbre de la race est lui-même éternel. »
Charles Péguy, ‘Eve’ - La double racination
A la fois charnel et spirituel, l’amour est un des lieux privilégiés où l’énergie cosmique peut se déployer.
Puissance personnalisante par excellence, il ne s’accomplit pas seulement dans la propagation de l’espèce, mais aussi dans une sublimation des rapports entre l’homme et la femme.

« Lors donc qu’approchera pour la terre la maturation de sa personnalité...la fonction essentiellement personnalisante de l’amour se détachera plus ou mois complètement de ce qui a dû être pour un temps l’organe de la propagation : la chair. Sans cesser d’être physique, pour rester physique, l’amour se fera plus spirituel. Le sexuel, pour l’homme, se trouvera comblé par le féminin. » (VI, p.96)
Dans un essai écrit en 1934 ‘L’évolution de la chasteté’, Teilhard écrit : la personnalisation doit « promouvoir entre l’homme et la femme, au plus haut degré de spiritualisation de la Terre, pas de contact immédiat, mais la convergence en haut. » (XI, p.46)
Il faudrait lire aussi ‘L’éternel féminin’ ( XII, p.279 et sq.) où Teilhard présente l’amour comme une force d’unification et de spiritualisation des êtres, force qui s’alimente à l’énergie christique. Celle-ci se fait de plus en plus présente au fur et à mesure que l’évolution approche de son Terme Oméga.
« Inhabile à distinguer le Mirage de la Vérité, l’homme n’a pas su, longtemps, s’il devait me craindre ou m’adorer.
Il m’aimait pour mon charme et ma domination ; il me redoutait pour ma puissance étrangère à lui et mes inexplicables vertiges.
J’étais sa Force et sa Fragilité - son Espérance et son Epreuve. - Sur moi se faisait la séparation des bons et des méchants.Peut-être m’aurait-il rendue définitivement mauvaise si le Christ n’était venu. Le Christ m’a sauvée. Il m’a libérée. » (XII, p.285-286)
Ambivalent au départ, l’amour humain est appelé à monter vers l’esprit. Il faut bien reconnaître néanmoins qu’il a tendance à se replier sur lui-même et parfois à refluer vers la matière. Poids du péché dans un univers qui se détourne du Christ.
« Regardons froidement, en biologistes ou en ingénieurs, l’atmosphère rougeoyante de nos grandes villes, le soir. Là, - et partout, du reste, - la Terre dissipe continuellement, en pure perte, sa plus merveilleuse puissance. La Terre brûle à l’air libre. Combien d’énergie, pensez-vous, se perd-il en une nuit, pour l’Esprit de la Terre ? » (VI, p.42)
Le Christ, par son Incarnation et sa Résurrection transfigure l’énergie humaine de l’amour. Il donne à ceux qui s’aiment de « se rejoindre dans un plus grand que soi. »Le couple trouve son équilibre « dans un troisième en avant de lui. » Il se voit entraîné dans une ascension qui trouvera son achèvement dans le Centre des centres, le point final de toute convergence, Oméga. Dans ce mouvement de montée, chacun est comme obligé d’aller jusqu’ au bout de lui-même pour mieux aider l’autre. Toutes les formes de l’amour humain convergent vers ce sommet où s’opère et se consomme la Communion avec Dieu.
3. L’adoration
Un dernier pas reste à franchir pour que nous soyons totalement ‘christifiés’.L’amour, dans sa forme la plus haute, peut se comprendre comme une sortie de soi intégrale, un passage en l’autre qui reçoit l’amant en se donnant à son tour. Se livrer entièrement, se perdre en un plus grand que soi, telle est l’ultime démarche.
« Ce que j’appelle comme tout être, du cri de toute ma vie, et même de toute ma passion terrestre, c’est bien autre chose qu’un semblable à chérir : c’est un Dieu à adorer.
Oh ! adorer, c’est-à-dire se perdre dans l’insondable, se plonger dans l’inépuisable, se pacifier dans l’incorruptible, s’absorber dans l’immensité définie, s’offrir au Feu et à la Transparence, s’anéantir consciemment et volontairement à mesure qu’on prend de soi conscience davantage, se donner à fond à ce qui est sans fond !
Qui pourrons-nous adorer ?
Plus l’homme deviendra homme, plus il sera en proie au besoin, et à un besoin toujours plus explicite, plus raffiné, plus luxueux, d’adorer.
O Jésus, déchirez les nues de votre éclair ! Montrez-vous à nous comme le Fort, l’Etincelant, le Ressuscité ! Soyez-nous le Pantocrator qui occupait, dans les vieilles basiliques, la pleine solitude des coupoles !
Il ne faut rien moins que cette Parousie pour équilibrer et dominer dans nos cœurs la gloire du Monde qui s’élève. Pour que nous vainquions avec vous le Monde, apparaissez-nous enveloppé de la Gloire du Monde. » (IV, p.157-158)

Dans la prière qui conclut le texte ‘sublime’ de ‘La Messe sur le Monde’, Teilhard nous invite à traverser toutes les couches du réel pour rejoindre le point central où converge le cœur du Monde et qui n’est autre que le Cœur de Jésus.
« Au cœur de la Matière,
Un Cœur du Monde
Le Cœur d’un Dieu. »
CONCLUSION
Penser la Création avec Teilhard, c’est reconnaître qu’elle s’identifie au Corps du Christ.
Nous vivons en milieu divin, en milieu ‘christique’.

Milieu Divin de la recherche, de la technique,
       de la contemplation et de l’adoration,
       de l’art, de l’amitié et de l’amour,
       de tout ce qui concourt à la croissance et à l’union.
Mais aussi Milieu Divin du danger, de la guerre,
       de la lutte contre le mal,
       de la maladie et de la mort.
« La Création trouve en Christ sa consistance et Christ ne peut se passer d’elle. »
Teilhard est ainsi le premier penseur chrétien à considérer la Création comme le Corps Cosmique du Christ. « Le Monde en son évolution devient... la pièce maîtresse et de l’identité du Christ Universel en vue de notre Pâque éternelle vers Lui, et de l’intégration de l’Univers en Lui.
Pour Teilhard, au regard de la foi, l’Univers n’est pas un lieu de séparation entre l’homme et Dieu, mais un milieu de communion. » G. Martelet, op. cit.

Laissons la parole une dernière fois à Teilhard. Ce texte est une prière qui nous dit merveilleusement sa foi.
« Christ glorieux, Influence secrètement diffuse au sein de la Matière et Centre éblouissant où se relient les fibres sans nombre du Multiple ; Puissance implacable comme le Monde et chaude comme la Vie ; Vous dont le front est de neige, les yeux de feu, les pieds plus étincelants que l’or en fusion ; Vous dont les mains emprisonnent les étoiles ; Vous qui êtes le premier et le dernier, le vivant, le mort et le ressuscité ; Vous qui rassemblez en votre unité exubérante tous les charmes, tous les goûts, toutes les forces, tous les états ; c’est Vous que mon être appelait d’un désir aussi vaste que l’Univers : Vous êtes vraiment mon Seigneur et mon Dieu ! »(XIII, p.154)
Soeur Marie-Bruno Dufossé
Ursuline de l’Union Romaine





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