sabato 3 novembre 2012

              Père Teilhard de Chardin (Tome II des (Oeuvres), Editions du Seuil.

          L'APPARITION DE L'HOMME
          Par André Leroi-Gourhan



Ce second volume des oeuvres du Père Teilhard de Chardin est pu-blié par le comité qui s'est chargé de rassembler les écrits du grand biologiste, manuscrits ou articles éparpillés dans des revues françaises et étrangères, et d'en constituer un ensemble monumental. L'ouvrage, composé de seize articles, portant tous sur les origines de l'homme et marquant trois grandes périodes de l'évolution de la pensée de Teil-hard, est couronné par un essai sur « les Singularités de l'espèce hu-maine » dans lequel, en quatre-vingts pages, il a ramassé, peu avant sa mort, tout ce que le vaste appareil philosophique qu'il avait édifié lui permettait de projeter vers le passé et surtout vers le futur de l'hu-manité. Ce livre est d'autant plus prenant que, pendant quarante ans, de l'Europe à Pékin et à l'Afrique du Sud, le Père Teilhard s'est trou-vé présent chaque fois qu'une nouvelle page s'ajoutait à la généalogie humaine, et il est impressionnant de voir, lorsqu'on sait vers quelles fantastiques hypothèses a pu lancer chaque nouveau fossile, avec quel-
le calme lucidité, en quelques pages, il a su, à chaque étape, parvenir aux positions que la suite devait révéler être les bonnes.
Les éditeurs ont placé en tête de l'ouvrage un court article de 1913, indispensable point de départ où l'on saisit l'auteur à trente ans, lorsqu'il tente une première synthèse des connaissances [114] sur l'homme. Puis vient, en 1921, une critique d'un traité de paléontologie humaine qui venait de paraître, critique dont certains passages méri-tent d'être encore considérés par les théologiens et dans laquelle, en quelques phrases, tout le problème de l'évolutionnisme et de la foi est exposé. La première période de la pensée de Teilhard se ferme par la Paléontologie et l'apparition de l'homme. On perçoit déjà, dans cet essai, les bourgeons de la philosophie de Teilhard, mais ce qui frappe surtout, c'est d'y voir exposées à l'époque, pour la première fois, un certain nombre d'idées sur les origines des singes et de l'homme qui ont mis trente ans pour devenir vérités scientifiques.
Survient, en 1930, la découverte des Sinanthropes de Pékin, à la-quelle Teilhard s'est trouvé mêlé de très près. Les articles dans les-quels il expose à mesure les découvertes qui se multiplient témoignent de l'enrichissement considérable qu'ont représenté ces cousins du Pithécanthrope, retrouvés dans leur caverne, avec les traces de leur feu et leurs outils. La question de l'animalité une fois close pour ces formes à peine imaginables du passé humain, pendant vingt ans Teil-hard mûrit son système au contact du terrain, de la Chine aux Indes. Le choc décisif est donné en 1950, lorsque Broom publie ses découver-tes des Australopithèques d'Afrique du Sud : les Sinanthropes avaient bouleversé nos idées sur la technicité des préhominiens, les Australo-pithèques transforment d'un coup tout ce que l'anatomie accumulait d'hypothèses sur les formes intermédiaires entre les singes et l'hom-me. Ces créatures, si loin placées dans le primitif qu'on ne sait quelle étiquette leur accorder, sont déjà des êtres à station verticale, bima-nes comme nous et dépourvus de museau. Teilhard a eu, de ce fait, dans les quatre dernières années de sa vie, alors que son immense ta-bleau prenait définitivement corps, le privilège de voir la paléontologie humaine sortir de théories dont les racines plongeaient encore en plein XVIIIe siècle.
Les articles de cette dernière période et l'essai sur les Singulari-tés occupent plus de la moitié du livre. Ils ont cette densité parfois déconcertante à laquelle le Phénomène humain a déjà accoutumé le lec-teur, mais la pensée s'accroche chaque [115] fois à des faits précis qu'elle traverse comme le regard traverse un appareil optique pour  
voir ce que l'oeil nu ignorerait. L'impression qui s'en dégage est que le Père Teilhard de Chardin est parvenu harmonieusement à la fin de sa course : au terme de la lente accumulation des données sur les profon-deurs du passé humain, après avoir depuis longtemps étayé l'idée de l'homme façonné par la terre tout entière et montant d'un élan conti-nu à travers les temps géologiques, on s'aperçoit qu'il a dépassé le seuil de l'homme actuel. Avec la même simplicité clairvoyante qui lui avait fait devancer la pensée scientifique, il pose, dans cette langue qui lui est propre, le problème d'une Terre de demain, totalement en-veloppée par les hommes. Ses images, d'un optimisme vigoureusement objectif sur « les trois peurs de l'espèce humaine », constituent peut-être l'héritage le plus précieux qu'il ait laissé *.

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