venerdì 9 novembre 2012

Un interessante dibattito sul periodico La France Catholique con un intervento del Card. DE LUBAC

Nota introduttiva
Alla fine del 2011 è stato ristampato un dibattito avvenuto alcuni anni prima sulle colonne del periodico francese La France Catholique.
Vi riproponiamo alcuni articoli più interessanti :
Um « pezzo » di Aimè Michel su alcune linee di forza del pensiero teilhardiano ;
Una lettera di riflessione del Card. Henry DE LUBAC ;
 Un intervento di Jean-François Foncin
Un intervento della paleontologa Anne Dambricourt Malassè
Buona lettura
Giovanni Fois

TEILHARD DE CHARDIN ET LES TEMPS DÉCHIFFRÉS (*)
Une discussion des trois idées-forces de Teilhard de Chardin

      Je vais toucher un point brûlant en essayant de le faire avec prudence, de ne rien mélanger.   Il s’agit des idées théologiques de Teilhard de Chardin [1].
Pourquoi ne parle-t-on plus de Teilhard qu’avec un demi-sourire, comme si ce grand esprit avait commis des erreurs enfantines, maintenant reconnues par les gens sérieux, bien définies et ne pouvant plus duper personne ? Rappelons d’abord ses idées forces :
1. Depuis ses origines, les plus lointaines, le monde est en évolution ;
2. L’homme est sorti de cette évolution parce qu’elle était orientée vers lui ;
3. L’évolution future du monde n’est autre que celle de l’humanité, qui est en train de s’organiser comme un corps unique dont l’âme s’identifiera à Dieu, au Christ Jésus. Teilhard appelle point Oméga cet état futur d’unité.
Évidemment, c’est le troisième paragraphe qui fait problème [2]. Le style de Teilhard, où le lyrisme recouvre la démonstration, est par là même plein d’ambiguïtés. L’ambiguïté étant insupportable au savant, elle provoque de sa part la critique destructrice et le sarcasme. Mais le sarcasme lui-même est ambigu : qu’est-ce au juste que Monod, par exemple, écarte d’un doigt méprisant ? Quand Monod laisse entendre que Teilhard était un faux savant, c’est lui qui fait rire [3]. Teilhard fondait ses spéculations sur la paléontologie, c’est-à-dire sur les fossiles. Sur ce point, le faux savant n’est pas celui que Monod pense. N’aurait-il que son œuvre de paléontologiste, Teilhard n’en resterait pas moins un des grands noms de la première moitié du XXe siècle. Je préfère, sur ce point, croire les autres paléontologistes qu’un spécialiste nobélisé pour sa biologie moléculaire et pour rien d’autre. De plus, quand Monod déclare tout tirer de la pure physique, c’est vers les physiciens que je me tourne. Et que me disent-ils ? Qu’il n’existe pas de physique en soi, hors d’un sujet pensant : c’est là le fondement de la physique quantique, à laquelle n’échappe aucunphénomène. Alors longue et glorieuse vie à Monod biologiste ; quant à Monod physicien, paix à ses cendres. Et revenons à Teilhard [4].
Son point 3 (ci-dessus) faisant problème, étant même peut-être, en toute rigueur, incompréhensible, n’en parlons plus. Ou plutôt, laissons-le à la discussion philosophique. Ne se pourrait-il pas que ses points 1 et 2, reconsidérés à la lumière du surcroît de connaissances acquises un demi-siècle plus tard conduisent quand même à une prospective de l’évolution humaine, à une vision de l’humanité future ?
Pour commencer, le point 1 n’est plus une idée philosophique. C’est un constat scientifique. Il suffit de lire ce que nous disent les radiotélescopes pour voir l’universelle évolution des choses. L’astrophysique a détruit l’idée des « lois éternelles de l’univers », présomptueuse illusion du XIXe siècle. La lumière voyageant à 300 000 kilomètres par seconde, il suffit de regarder très loin pour voir du très ancien. À dix milliards d’années lumière, on voit les choses telles qu’elles étaient il y a dix milliards d’années. Eh bien ! elles étaient différentes. Et en ajustant notre regard à des plans plus rapprochés, on voit ce qui s’est passé depuis ces temps lointains. Il s’est passé une quantité fabuleuse de choses, et nous arrivons au point 2 (a).
L’univers en évolution est d’abord de l’hydrogène (l’élément le plus léger). Cet hydrogène se rassemble en galaxies, au sein de ces galaxies se forme une première génération d’étoiles ne contenant que des éléments légers et d’où sont en particulier absents le carbone, l’azote, et les métaux et métalloïdes nécessaires à la vie.
Puis, ces étoiles subissent des catastrophes (dont nous avons les photos) d’où sortent les éléments lourds. Alors apparaît la deuxième génération d’étoiles, qui engendrent des planètes.
Nous voici à la Terre, l’une de ces planètes innombrables. Aussitôt formée, elle évolue (la géologie nous montre comment), et aussitôt les conditions nécessaires réalisées, la vie apparaît. Celle-ci à son tour entre en évolution accélérée. Au bout de quelques milliards d’années de cette évolution apparaissent des êtres bipèdes, verticaux, dotés de mains, qui ne sont pas encore des hommes. (On en déterre sans cesse des fossiles en Afrique australe et orientale.)
Le cerveau de ces êtres grossit à mesure que le temps passe. À partir d’un certain moment, il subit un rééquilibrage accéléré de ses parties, les centres du comportement devenant de plus en plus complexes et volumineux, en particulier les centres correspondant aux activités de la main, aux comportements sociaux, au langage enfin : Ecce homo.
Au vu de tout cela, où ne se laisse pas discerner ne fût-ce que l’ombre d’une idée métaphysique, peut-on contester que l’univers, depuis le fond inaccessible du temps, n’a cessé d’évoluer vers l’homme ? [5]
Bon, mais : et après ? Un élan si ancien, on doit bien, sur un temps si long, voir vers quoi il pointe ?
On le voit très bien, et les savants ont défini cette flèche du temps qui nous emporte vers le futur (b). Ils ont même montré que le mouvement de cette flèche s’accélère sous nos yeux, toujours selon les mêmes lois. Cela s’appelle l’histoire. L’histoire continue la paléontologie, qui continue l’astrophysique, d’un mouvement que définissent les mêmes lois mathématiques [6]. Le mouvement qui nous a arraché à l’animalité nous presse maintenant d’aller au-delà de nous-mêmes. C’est en quoi l’histoire est si fatigante : courir, toujours courir, et de plus en plus vite ! « Plan : tout projet élaboré comportant une suite ordonnée destinée à atteindre un but.  » (le petit Robert). Si ce n’est pas là un plan, qu’est-ce que c’est ? La vie de savant devient compliquée pour le matérialiste. Il lui faudra bientôt crier : « À bas la science ! » .
Teilhard avait pressenti tout cela en manipulant ses fossiles. Ce qu’on ignorait encore de son temps, il y a suppléé par de la théologie. Rendons aux théologiens ce qui est aux théologiens, et pensons au savant Teilhard avec respect.
Aimé MICHEL
Notes
[1] Cette chronique est la troisième qu’Aimé Michel consacre à Teilhard de Chardin. Les deux précédentes sont la n° 98, Sous le lampadaire et à côté, parue ici le 26.07.2010, et la n° 102, Le lit de Procuste, le 04.08.10.
[2] Cette formulation de la troisième idée-force de Teilhard, fondée sur une « unification », n’est pas correcte selon le père Henri de Lubac, éminent spécialiste de Teilhard de Chardin. Il a présenté ses arguments dans une lettre à Aimé Michel que nous publierons dans deux semaines.
[3] C’est au chapitre II intitulé « Vitalismes et animismes » de son célèbre livre Le hasard et la nécessité(Seuil, Paris, 1970) que Jacques Monod critique les idées de Teilhard, mais aussi de Leibnitz, Bergson, Elsässer, Polanyi, Bohr, ou encore Spencer, Marx et Engels, tous auteurs qui ont eu à ses yeux la faiblesse de succomber à « l’animisme ». Il appelle ainsi la « projection dans la nature inanimée de la conscience qu’à l’homme du fonctionnement intensément téléonomique de son propre système nerveux central » ou « en d’autres termes, l’hypothèse que les phénomènes naturels peuvent et doivent s’expliquer en définitive de la même manière, par les mêmes “lois” que l’activité humaine subjective, consciente et projective ». « L’animisme établissait entre la Nature et l’Homme une profonde alliance hors laquelle ne semble s’étendre qu’une effrayante solitude. Faut-il rompre ce lien, parce que le postulat d’objectivité l’impose ? L’histoire des idées depuis le XVIIe siècle, témoigne des efforts prodigués par les plus grands esprits pour éviter la rupture, pour forger à nouveau l’anneau de “l’ancienne alliance”. »
C’est cette « projection animiste » que Monod reproche à Teilhard ; voici en quels termes : « La philosophie biologique de Teilhard de Chardin ne mériterait pas qu’on s’y arrête, n’était le surprenant succès qu’elle a rencontré jusque dans les milieux scientifiques. Succès qui témoigne de l’angoisse, du besoin de renouer l’alliance. Teilhard la renoue en effet sans détours. Sa philosophie, comme celle de Bergson, est entièrement fondée sur un postulat évolutionniste initial. Mais, contrairement à Bergson, il admet que la force évolutive opère dans l’univers entier, des particules élémentaires aux galaxies : il n’y a pas de matière “inerte”, et donc aucune distinction d’essence entre matière et vie. Le désir de présenter cette conception comme “scientifique”, conduit Teilhard à la fonder sur une définition nouvelle de l’énergie. Celle-ci serait en quelque sorte distribuée selon deux vecteurs, dont l’un serait (je suppose) l’énergie “ordinaire” tandis que l’autre correspondrait à la force ascendante évolutive. La biosphère et l’homme sont les produits actuels de cette ascendance le long du vecteur spirituel de l’énergie. Cette évolution doit continuer jusqu’à ce que toute l’énergie soit concentrée selon ce vecteur : c’est le point ω. Encore que la logique de Teilhard soit incertaine et son style laborieux, certains même qui n’acceptent pas entièrement son idéologie y reconnaissent une certaine grandeur poétique. Je suis pour ma part choqué par le manque de rigueur et d’austérité intellectuelle de cette philosophie. J’y vois surtout une systématique complaisance à vouloir concilier, transiger à tout prix. Peut-être après tout Teilhard n’était-il pas pour rien membre de cet ordre dont, trois siècles plus tôt, Pascal attaquait le laxisme théologique. » (pp. 44-45).
[4] Pour un développement de cette critique de Monod voir la chronique n° 33, Un biologiste imprudent en physique, du 7 mai 1971, parue ici le 25.01.2010.
[5] Aimé Michel reprend ici le thème de la chronique n° 58, Notre chair dans les étoiles, du 15 octobre 1971 (parue ici le 12.12.2010). De nombreux livres ont narré cette montée de la complexité au cours du temps, en approuvant, niant ou passant sous silence la montée vers l’homme (formulation au demeurant ambiguë et discutable). Pour une mise au point récente on pourra lire La longue histoire de la matière. Une complexité croissante depuis des milliards d’années (PUF, Paris, 2006 ; 2e édition, 2011) de Jacques Reisse, membre de l’Académie royale de Belgique, professeur de chimie physique à l’Université libre de Bruxelles.
[6] A l’appui de son propos, Aimé Michel cite un article significatif de son ami le géologue André de Cayeux (voir aussi les chroniques précédentes n° 7, La fin de l’histoire vu par un géologue, 3.8.2009, n° 17, Voici l’homme, 11.5.2009, n° 22, L’étang pétrifié, 13.4.2009, et n° 82, La question et le carcan, 12.08.11). Je reviendrai une autre fois sur la vie et l’œuvre de ce singulier et attachant savant que fut André de Cayeux (qui publia le plus souvent sous le nom d’André Cailleux) et sur l’amitié qui liait les deux hommes. L’article en question, qui témoigne d’un temps où les chercheurs français pouvaient encore s’exprimer dans leur langue pour communiquer leurs travaux, est représentatif de son style clair et concis ; car, comme l’écrit son collègue François Ellenberger dans un hommage posthume, « pourquoi s’étaler en longueur quand l’essentiel peut être exprimé en quelques pages ? » (ici onze pages). Cailleux résume en cinq paragraphes l’essentiel des résultats obtenus en plus de vingt ans de recherche et de réflexion sur les aspects quantitatifs de l’évolution biologique et humaine. Les titres des paragraphes donnent une bonne idée du contenu de l’article : Complication croissante, Diversification croissante, Essais abandonnés, Perfectionnement psychique et accélération, Forme des lois temporelles dans l’évolution biologique et humaine. Il montre que nombre de grandeurs caractéristiques des phénomènes évolutifs croissent au cours des temps géologiques avec des taux constants (fonctions exponentielles du temps) voire des taux croissants (fonctions hyperboliques). Il conclut sobrement : « Nous avons vu qu’au cours des temps géologiques, [les êtres vivants] ont été en se compliquant, mais aussi en se diversifiant. Des espèces de plus en plus nombreuses et diverses créaient dans leurs relations entre elles et avec le monde physique des situations de plus en plus variées, exigeant des aptitudes psychologiques de plus en plus fines. D’où peut être rétroaction, contribuant à expliquer pour une part l’accélération constatée. Mais d’autres facteurs ont pu intervenir aussi. »
François Ellenberger commente : « Jusqu’à la fin de sa vie, Cailleux n’a cessé d’archiver, de dénombrer, tracer des courbes, en aboutissant toujours à des conclusions comparables. Nous ne vivons pas, comme le croyait une pensée antique, dans un univers régi par un temps cyclique. Les religions judéo-chrétiennes et leurs dérivés ont imposé la notion de temps linéaire. La science moderne confirme cette directionnalité irréversible mais avec accélération du temps. Précisons que Cailleux a toujours manifesté une grande discrétion quant aux perspectives métaphysiques ouvertes par cette constatation, et s’est gardé d’une dramatisation facile ; elle aurait, il me semble, amoindri l’impact de cette prise de conscience qui gêne volontiers notre confort. »

 UNE LETTRE DU PÈRE DE LUBAC À PROPOS DE TEILHARD DE CHARDIN   
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Cher Monsieur, dans France Catholique, vous parlez du P. Teilhard de Chardin. Vous le faites avec sympathie, vous défendez sa valeur scientifique contre des appréciations méprisantes et mal fondées, – et je vous en suis reconnaissant.
Mais pourquoi lui attribuez-vous une troisième « idée force » qui n’est nullement la sienne. Le P. Teilhard a tout au contraire passé sa vie à lutter contre cette idée d’une « identification ». II y voyait l’erreur par excellence sur notre destinée, le cœur même du mysticisme « oriental » auquel il ne cessait d’opposer le personnalisme issu de l’Évangile. Son grand principe, indéfiniment repris et étudié sous toutes ses faces, était que « l’union personnalise ». Pour lui, l’unification était exactement « aux antipodes de l’amour », c’est-à-dire l’inverse de la solution chrétienne. Les textes en ce sens sont innombrables. (Il m’en tombe un sous la main : Œuvres, t. 7 ; p. 225–236 : «  Pour y voir clair : réflexions sur deux formes inverses d’esprit  » ; simple exemple entre bien d’autres.)
D’autre part, cette unité ou union d’amour, ultra-personnalisante, dans le Christ Jésus, le P. Teilhard ne l’a jamais confondue avec le terme en quelque sorte fatal et immanent d’une évolution naturelle, ainsi que vos lecteurs pourraient le croire :
1° Il sait et il professe (ici encore, exemples innombrables) qu’elle ne peut être que donnée par Dieu, – qu’elle suppose le retournement total qu’est le passage de ce monde à la vie éternelle ; c’est au nom de sa foi chrétienne qu’il en proclame l’espérance, et c’est dans les termes de saint Paul que, avec toute la tradition catholique, il aime l’exprimer.
2° Il sait aussi que chacun peut s’y dérober, par un refus de Dieu ; il ne cesse de nous mettre devant l’éventualité d’une « perte » : tout le progrès humain est pour lui chose équivoque, pouvant se réaliser « pour le bien, ou pour le mal » ; aussi sa vision du monde et de l’histoire est-elle profondément dramatique.
Comme d’autres auteurs que j’estime, vous êtes sur ce point innocemment victime d’une opinion répandue par des écrivains qui n’ont jamais étudié sérieusement Teilhard, qui même ne l’ont pas lu. Je ne m’en étonne pas, parce que bien souvent j’ai constaté des erreurs analogues chez des hommes de valeur qui ont d’autre part toute ma sympathie. Mais les textes sont là, non point rares ou marginaux, mais nombreux et centraux. J’ai pensé qu’il pouvait être utile de vous alerter à ce sujet.
Veuillez croire, cher Monsieur, à mon respect cordial.
Henri de LUBAC [3]


Notes de Jean-Pierre ROSPARS
 [1] Dans cette chronique, parue ici il y a deux semaines, Aimé Michel présente ce qu’il tient pour les trois « idées forces » de Teilhard : « 1. Depuis ses origines, les plus lointaines, le monde est en évolution. 2. L’homme est sorti de cette évolution parce qu’elle était orientée vers lui. 3. L’évolution future du monde n’est autre que celle de l’humanité, qui est en train de s’organiser comme un corps unique dont l’âme s’identifiera à Dieu, au Christ Jésus. Teilhard appelle point Oméga cet état futur d’unité. » Aimé Michel distingue soigneusement les deux premières idées qui sont des « constats scientifiques », « sans l’ombre d’une idée métaphysique », de la troisième qui est une « spéculation » qui relève de la théologie.
[2] Henri de Lubac, théologien jésuite, né à Cambrai en 1896, fait ses études dans la région lyonnaise, entre en 1913 au noviciat anglais des Pères Jésuites, est nommé professeur de théologie fondamentale à la Faculté de théologie de Lyon en 1929. Auteur de très nombreux ouvrages, dont La pensée religieuse de Teilhard de Chardin(Aubier, Paris, 1956), il est élevé au cardinalat en 1983. Dès le début de son itinéraire intellectuel il rencontre le père Teilhard de Chardin qui était de 15 ans son aîné. « Souvent le premier à connaître les développements de sa pensée, il sera le brillant défenseur de Teilhard contre tous ses détracteurs, de droite comme de gauche. » (M. Neusch et B. Chenu, Au pays de la théologie, Le Centurion, Paris, 1990, p. 106).
[3] À relire la précédente chroniqu eet la lettre du P. de Lubac, je me demande si Aimé Michel n’a pas abandonné un peu vite sa critique de la troisième idée force de Teilhard.
D’un côté, il ne fait pas de doute que les éclaircissements du P. de Lubac sont fondés et que l’unification de l’humanité au Christ au point Oméga n’est pas une « identification » et que celle-ci n’a pour lui rien d’automatique.
Selon Teilhard l’étape en cours de l’évolution se caractérise par une association, une solidarité de plus en plus étroite des hommes entre eux qui doit aboutir un jour à la « planétisation de l’humanité ». Cette planétisation se fera sans dissolution des personnalités, au contraire elles s’affirmeront car l’union différencie : « Que l’union différencie, nous en avons partout autour de nous les évidences : dans le corps des vivants supérieurs où les cellules se compliquent presque à l’infini, à la mesure des tâches variées qu’elles ont à remplir ; dans les sociétés humaines où la multiplication des spécialités devient chaque jour plus féconde ; dans le monde psychologique où les amis et les amants n’atteignent le fond de leur intelligence et de leur cœur qu’en se les communiquant. » (P. Teilhard de Chardin, L’Avenir de l’Homme, Seuil, Paris, 1959).
Mais cette planétisation ne peut se faire que par une adhésion volontaire des hommes, par leur coopération au plan divin : « Après l’ère de l’évolution subie, voici l’ère de l’auto-évolution ». Cela suppose de rejeter trois tentations : celle du suicide collectif (l’univers n’a aucun sens), celle de l’« évasion » (le détachement du monde que propose certaines religions orientales), celle enfin de l’accomplissement d’individus isolés car « C’est la Collectivité qui se perfectionne, dans l’effort coordonné de tous les hommes, animés par une même foi et intéressés par une préoccupation commune. ».
Paul Misraki résume fort bien la conception de Teilhard : « L’évolution est à la fois une montée de Conscience globale (la Noosphère) et une montée de consciences individuelles (la personne humaine). L’univers est en outre un monde convergent. Le point de convergence (…) doit être une Conscience suprême, qui puisse englober toutes les consciences, mais sans les annihiler. Au contraire elle doit permettre aux personnes de s’épanouir totalement. Ce point de convergence que Teilhard baptise Oméga, cette conscience suprême, n’est pas le Grand Tout des Panthéistes, dans lequel la fusion annihile les personnes. Son rôle, au contraire, n’est pas seulement de récupérer toute la conscience du monde, mais toutes les personnalités. Et ceci n’est possible que si Oméga est d’une part une conscience qui porte en soi au maximum ce qui est la perfection de nos consciences, d’autre part un foyer d’union suprêmement autonome. Oméga est donc selon Teilhard, un Dieu personnel, un “Centre distinct rayonnant au cœur d’un système de centres.” » (pp. 65-66, in Pour comprendre Teilhard, Lettres modernes, Paris, 1962)
D’un autre côté, la discussion du P. de Lubac ne porte pas sur le scénario d’ensemble lui-même et le point Oméga en particulier. Or n’est-ce pas ce scénario d’évolution future de l’humanité qui est visé au premier chef par la critique d’Aimé Michel, non les deux points soulignés par le P. de Lubac ?
Je ne veux pas dire qu’Aimé Michel rejetait catégoriquement le scénario de Teilhard, mais simplement qu’il ne le voyait pas comme seul concevable. Au demeurant il n’accordait qu’un crédit limité aux scénarios du futur : il était trop persuadé que toute prévision détaillée est impossible, que l’avenir est impensable. Dans un texte d’août 1981 intitulé « Sur l’avenir de l’humanité » il écrit : « il suffit de prévoir n’importe quoi pour l’effacer du futur ». Cela ne l’empêche pas, le sourire en coin, de proposer son propre oracle : « À moins d’une sévère guerre atomique, nous vivons les dernières générations de l’“homme” » car l’espèce humaine va se transformer elle-même par le génie génétique. Mais il se moque aussitôt de son oracle : « Cela n’arrivera pas (…) parce que le Temps, ce mystère, est un éternel matin, et que seuls les couillons s’imaginent qu’un matin répète l’autre. Toutes les élucubrations prétendues futuribles ne peuvent que prolonger ce qu’on sait, le peu qu’on sait, et nous ne savons pour ainsi dire rien, nous ne savons rien. De l’abîme de notre ignorance ne cessent de surgir l’imprévisible, l’improbable, l’impossible. » (L’Apocalypse molle, Aldane, Cointrin, 2008, www.aldane.com, p. 206 et sq.). Je suis donc porté à croire qu’Aimé Michel n’était pas désireux d’engager une discussion sur le point Oméga et qu’il a préféré se retirer sur la pointe des pieds.

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  Jean-François Foncin
"N’aurait-il que son œuvre de paléontologiste, Teilhard n’en resterait pas moins un des grands noms de la première moitié du XXe siècle" ? certainement pas. Son rôle dans la plus célèbre tromperie paléontologique du XXème siècle, Eoanthropus dawsoni, à laquelle son nom fut mêlé en 1912 pendant qu’il séjournait dans un studiumjésuite du sud de l’Angleterre l’en écarte définitivement. Fut-il l’auteur de la supercherie ? cela a été soutenu par S.J. Gould, mais semble peu probable ; un complice de Dawson ? sa "découverte" de la canine (limée pour les besoins de la cause) qui parut relier la machoire (de singe) et le crâne (néolithique) "trouvés" à Piltdown et trancher en faveur du caractère "ancestral" (admis par Teilhard jusque dans ses derniers écrits) du prétendu Eoanthropus le ferait penser ; au minimum, il a été trompé par Dawson auquel il a servi de caution en même temps que Woodward, et cela suffit à ruiner sa réputation de spécialiste de la paléontologie humaine. Il vivait encore quand la supercherie a été découverte, mais il s’est obstinément refusé à discuter de son rôle dans l’affaire. Quant au Sinanthropus, la perte, après la prise de Pékin par les communistes, des crânes constituant l’holotype empèchera toujours de décider de sa signification, mais il est certain qu’il se trouve, comme rameau de Homo erectus, en marge des reconstructions actuelles de la lignée humaine.

Anne Dambricourt Malassé

Le déni de la valeur scientifique et morale de Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), est une triste banalité.
La référence à Stephen Jay Gould est un cache-misère bien connu de la Fondation Teilhard de Chardin, sise au Muséum national d’histoire naturelle, présidée par Henry de Lumley, directeur de l’Institut de Paléontologie Humaine. La sympathie de S.J. Gould pour la thèse d’une participation préméditée au faux chaînon-manquant de Piltdown surprend les historiens des sciences et les biographes de Teilhard par son manque de rigueur et elle dénote avec ce que l’on est en droit d’attendre d’un esprit objectif et rigoureux tel que S. J. Gould.
Pour qui douterait encore de la reconnaissance du génie scientifique, il suffit de regarder ce que l’histoire conserve et transmettra dans la mémoire collective : Théodore Dobzhansky, un des trois pères de la Théorie synthétique de l’évolution, ou néo-darwinienne, premier président de l’association américaine Teilhard de Chardin (1967). Les membres du comité scientifique soutenant la publication du Phénomène humain en 1955 : André Leroi-Gourhan (1911-1986), Camille Arambourg (1885-1969), Henri Breuil (1877-1961), Jean Piveteau (1899-1991), Miss Doroty Garrod (1892-1968), G.H.R Von Koenigswald (1902-1982), Sir Wilfrid Le Gros Clark ((1895–1971), George Gaylord Simpson (1902-1984), tous paléontologues et préhistoriens de grand renom.
Je recommande à vos lecteurs un ouvrage du Père Gustave MARTELET s.j. qui fait autorité. Il est parfaitement au fait de la reconnaissance unanime de l’immense savoir paléontologique de Teilhard et de sa probité intellectuelle : "Teilhard de Chardin prophète d’un Christ toujours plus grand", Bruxelles, Éditions Lessius, 2005, dont une recension du Père J.-M. MALDAMÉ est parue sur le site de l’Institut catholique de Toulouse.
Ce type de déni n’est pas à mettre au rang des meilleurs inspirations de S.J. Gould et il a fini par se faire rare, tant il dessert la crédibilité de ceux qui y souscrivent.



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